Paul Jacoulet (1896-1960)
Article précédent : Pourquoi Paul Jacoulet est-il devenu un artiste français de l’estampe japonaise ?
Les estampes de Paul Jacoulet ont été réalisées au Japon de la façon la plus traditionnelle. Ce sont des impressions sur papier issues de la gravure sur bois.
Voir : Comment est réalisée une estampe japonaise ?
La technique des estampes de Paul Jacoulet
Paul Jacoulet utilise les techniques traditionnelles les plus virtuoses de l’estampe Ukiyo-e : pigments végétaux pour les encres, poudre de mica saupoudrée sur une zone préalablement colorée ou poudre de mica fixée en couche sur le fond, rehauts de poudres d’or et d’argent ou de perles (nacre), laque, gaufrage.
Il fait fabriquer un papier spécial pour ses estampes (le kizuki hosho), plus épais car le nombre de couleurs nécessite un nombre d’application de la feuille sur les bois encrés plus importants qu’au temps de l’Ukiyo-e (rappel : une application pour imprimer le trait de contour plus une application pour chaque couleur). Pour certaines estampes de Jacoulet, le papier est appliqué jusqu’à 60 fois sur les bois.
Il fait fabriquer son papier par le grand maitre Kihei Yamaguchi à Okamoto dans le département de Fukui.
Jacoulet, éditeur de ses propres estampes, dirige ses artisans.
Contrairement à la pratique européenne, l’estampe japonaise nécessite la réunion de 4 talents : l’artiste, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur qui met sous contrat artiste et artisans. Paul Jacoulet sera son propre éditeur. Extrêmement exigeant, il surveille méticuleusement les processus de gravure et d’impression, rejetant les estampes qui n’atteignent pas à ses yeux le niveau de qualité requis.
Le succès étant au rendez-vous dès les débuts de son atelier et il va recruter « la crème » des artisans, maitres graveurs et maitres imprimeurs.
Son premier artisan graveur est Eijiro Urushibara et son premier artisan imprimeur est Yamagashi Kazuo.
Puis il recrute les imprimeurs Shunosuke Fujii, Tetsunosuke Honda, Matashiro Uchikawa, Fusakichi Ogawa et Yoshizo Onodera
Enfin, il s’adjoint le graveur Kentaro Maeda qui travaillera toute sa vie avec Paul Jacoulet.
Le maitre-graveur Kentaro Maeda, le plus grand graveur du XXème siècle
Né en 1891, il collabore avec Paul Jacoulet de 1935 à 1960. Il travaillera parallèlement pour l’éditeur Shozaburo Watanabe à graver, entre autres, l’œuvre d’Hasui Kawase.
Shozaburo Watanabe est l’éditeur qui a initié le mouvement Shin hanga.
Kentaro a également travaillé pour l’éditeur Yuyudo à graver des rééditions d’estampes Ukiyo-e et des éditions commémoratives d’estampes de Goyo Hashiguchi.
Goyo Hashiguchi, Femme se poudrant, gravure sur bois, estampe du mouvement « Shin hanga », éditeurs Yuyudo et Watanabe, graveur Kentaro Maeda,
Source www.artmemo.fr
Hasui Kawase, Mare de Shiba Benten 1929, détail, gravure sur bois, estampe du mouvement « Shin hanga », éditeur Watanabe, graveur Kentaro Maeda,
Voir la biographie d’Hasui Kawase
La stylistique de Paul Jacoulet
Qui dit estampe japonaise, dit dessin linéaire ( basé sur la ligne, sans modelé ni volume).
Ce sont ses professeurs à Tokyo Terukata et Shoen Ikeda qui lui enseigneront cette façon de dessiner. Il s’appuiera aussi sur l’étude des maitres de l’estampe : « Pour apprendre les lignes, j’ai étudié Masanobu, Harunobu, Kiyonaga, Utamaro, Hokusai et d’autres peintres de l’ukiyo-e ».
La gravure sur bois ne permet pas véritablement la restitution des volumes. Seul l’usage des dégradés de couleur peut donner une impression de volume et de succession des plans mais Jacoulet ne le demande pas à ses artisans imprimeurs alors qu’à la même époque les estampes Shin hanga multiplient les effets de perspective grâce aux dégradés.
Sa technique : il fait un dessin à l’aquarelle et oriente son graphisme pour produire un dessin uniquement fondé sur la ligne. Il respecte ainsi la tradition japonaise et facilite le travail du graveur.
Gravures sur bois, Les Deux Adversaires , Corée
Choix et traitement du sujet : exotisme et amour des corps masculins
Les sujets de prédilection de Paul Jacoulet : des portraits chargés d’exotisme.
La caractéristique de ses portraits : il représente le plus souvent des gens du peuple dans leur vie quotidienne banale ou festive. Il en fait une restitution toujours très fidèle mais le choix de ses sujets privilégie l’exotisme. Il s’attache à représenter les costumes, parures et les coutumes surtout de populations très minoritaires risquant d’être menacées de disparition.
Son univers pictural est très sensuel, peuplé de corps graciles presque nus. Son amour pour les personnages masculins androgynes est omniprésent, jeunes éphèbes souvent maquillés, qui l’attiraient charnellement.
Gravure sur bois, Basilio jeune garçon de l’ile de Saipan tenant des coquillages.
Mariannes 1934
Ses dessins, des témoignages ethnographiques ?
On ne peut ainsi pas interpréter ses dessins comme des témoignages purement ethnographiques. Jacoulet est avant tout un artiste qui peut magnifier le réel ou le manipuler à son gré. De plus même s’il voyagera toute sa vie, il serait faux de dire que son inspiration ne vient que de ses voyages : il a pris souvent pour modèles des photographies, des cartes postales ou des livres documentaires.
La Chine
Concernant ses dessins et estampes sur la Chine, il n’a effectué qu’un court séjour dans le pays et s’est surtout inspiré d’images ou des représentations de l’Opéra de Pékin à Tokyo. L’origine de cette inspiration est visible. Ses personnages sont les plus figés de son corpus dessiné et semblent plutôt être des types physiques que des individus.
Micronésie (Mariannes, Carolines, Célèbes, Fiji, Yap, Iles Marshall)
On lui doit toutefois une grande exactitude dans la restitution des tatouages. Il les a véritablement observés et dessinés très exactement. Cette pratique rituelle extrêmement répandue est interdite par le japon aux iles Marshall en 1922 (Micronésie sous domination japonaise) et il en fait des relevés très précis et précieux pour les ethnologues aux iles de Saipan et de Yap (Micronésie).
La Corée
Les estampes de Corée sont sans doute les plus belles. Il s’inspire de ses séjours et de la relation privilégiée qu’il a avec des coréens. Sa mère s’installa à Séoul avec son 2ème mari, un japonais. Son assistant le plus proche est coréen et Paul Jacoulet adoptera Thérèse, la fille unique de celui-ci, en 1951.
Les attitudes décrites sont beaucoup plus naturelles et semblent vraiment saisies sur le vif. ( » De retour de banquet » 1951, un personnage est ivre mort). Il dépeint des gens simples avec une grande exactitude et l’on sent la tendresse qu’il a parfois pour ses modèles.
Il travaille aussi énormément les nuances de blancs des costumes.
Gravure sur bois, De retour de banquet – Corée, 1951
Japon
Il laissera des dessins des populations d’Hokkaidô, Izu, Kobe et Sawara.
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Bettina Vannier
www.artmemo.fr