Paul Jacoulet (1896-1960) est un artiste français enfin reconnu dans son pays 50 ans après sa mort. Une première exposition lui a été consacrée à la B.N.F. en 2010. Puis en 2013, une exposition lui a rendu hommage au musée du Quai Branly : « Un artiste voyageur en Micronésie, le monde flottant de Paul Jacoulet ».
(L’expression « monde flottant » reprend la traduction du terme « Ukiyo-e » que l’on traduit par « image du monde flottant ». Ce terme désigne l’estampe japonaise dessinée entre 1650 et 1912).
Paul Jacoulet est original à deux titres :
– C’est un français, élevé et éduqué au Japon.
– C’est un artiste qui a choisi de s’exprimer en faisant transposer ses aquarelles en estampes « à la japonaise », c’est-à-dire en impressions sur papier issues de la gravure sur bois.
Courte biographie
Né à Paris en 1896, il a 3 ans quand sa mère rejoint son père, professeur de français au japon. Il profite alors d’une éducation axée sur les arts des deux cultures mélangeant dessin à l’occidentale et calligraphie orientale, violon et shamisen puis chant traditionnel (gidayu).
Dessinateur très doué, il prend à 13 ans des cours avec le couple d’artistes Terukata et Shoen Ikeda.
En dehors de son talent, 3 éléments vont influencer la carrière de Paul Jacoulet : sa santé est et restera très mauvaise, il recopie des estampes d’Utamaro avec les Ikeda, il a vu des tableaux de Gauguin lors de son unique séjour en France avec son père en 1907 et c’est un choc inoubliable.
Il collectionne avec passion les papillons (30 000 répertoriés). Son goût pour ces insectes éveille et renforce son talent de coloriste.
A l’âge adulte, Il voyage régulièrement. Il parcourt la Micronésie, la Corée, un peu la Chine. Sa santé se détériore en 1953 mais il visite encore en 1954 et 1955 Hong-Kong, Singapour l’Australie, Tahiti et l’Amérique du sud. En rentrant au Japon, il dessine encore en souffrant et continuera jusqu’à la fin de sa vie.
Paul Jacoulet va dessiner toute sa vie à la mine de graphite et à l’aquarelle des personnages rencontrés dans ses voyages privilégiant 4 destinations qu’il illustre en alternance : Micronésie, Corée, Chine et Japon.
Le Japon semble naturel mais les 3 autres territoires le sont également car ils sont à cette époque sous mandat ou domination japonaise.
De 1934 à 1960, ses meilleures aquarelles sont transposées en estampes « à la japonaise ». Dans ce but, elles seront gravées sur bois puis imprimées par des maitres artisans sous son contrôle dans l’atelier qu’il a crée. Il en fera lui-même le commerce.
Il meurt en 1960, d’un diabète mal soigné.
Comment Paul Jacoulet devint un artiste de l’estampe japonaise
L’extrême influence de l’estampe Ukiyo-e
Adolescent avec les Ikeda, il pratique surtout le dessin de portraits féminins (bijin-ga) et recopie des estampes d’Utamaro. Puis jeune adulte, il collectionne les estampes qu’il achète dans le quartier de Kanda à Tokyo : Utamaro, Choki, kiyonaga… Ces trois artistes privilégient des représentations de figures féminines. C’est donc naturellement que Paul Jacoulet va choisir de dessiner des portraits à la japonaise, basé plutôt sur la ligne que sur le volume, et de les faire transposer en estampes par le biais de la gravure sur bois.
Toute sa vie, il sera influencé par Utamaro mais sans jamais chercher à paraphraser le grand maitre de l’estampe. Il invente son propre style à la fois raffiné et naturaliste.
Le passage à l’acte de création
Son père est mobilisé en 1916, se bat à Verdun, en revient très affaibli et décède en 1921. Paul a besoin de travailler mais en même temps il aspire toujours à devenir artiste. Il fréquente des acteurs de Kabuki, joue des percussions dans un orchestre puis s’embarque en 1929 pour les iles de Micronésie invité par un ami. Il y fera plusieurs séjours entre 1929 et 1932.
En 1930, le professeur Fujitake Shizuya lui conseille de transformer ses aquarelles en estampes. Il fait à Jacoulet le compliment suivant : il est le seul artiste étranger capable de représenter les corps comme un japonais c’est à dire sans tomber dans le piège des techniques de représentation occidentales tels le modelé, une perspective trop mathématique, le clair-obscur. En effet, il travaille en effet par aplats de couleurs comme le faisaient les artistes de l’Ukiyo-e.
Il passe à l’acte en 1933 et fonde « l’Institut de gravure Jacoulet », édite sa première estampe en 1934 puis son premier album « album des mœurs du monde ». Sa connaissance du Japon et ses voyages en Micronésie seront sa première source d’inspiration.
Il fera tout de suite sa première exposition au grand magasin Mitsukoshi à Tokyo ce qui est une manière courante de vendre pour les artistes au Japon..
Guiltamag, jeune homme de l’île de Yap, Ouest Carolines, Crayon et aquarelle sur papier
Le succès au rendez-vous
Son atelier est une réussite et lui permet de vivre. Il sera exposé au Japon, en Corée, à Los Angeles, Hawaï, Helsinki, Perth (Australie) donc en Asie et le monde anglo-saxon mais jamais en France. Ceci explique que les français en aient une connaissance si tardive. Le monde anglo-saxon est amateur de la gravure sur bois du 20ème siècle et se passionne pour le mouvement Shin hanga (« Nouvelle estampe »). Mais pour l’Europe, notamment la France, l’estampe japonaise s’est arrêtée à la fin du 19ème siècle.
Les Enfants Aux Yeux Jaunes, gravure sur bois, 1940
Paul Jacoulet dans le contexte artistique de son époque
Il débute son activité d’éditeur et de dessinateur d’estampes quand l’art de la gravure sur bois commence un retour en grâce au Japon après être tombé en désuétude.
Avec l’ouverture économique du Japon en 1853 suivie de la modernisation frénétique du pays à partir des années 1870, les Japonais n’ont d’yeux que pour ce qui vient d’Occident. Avec la photographie et la lithographie pour concurrentes, l’estampe perd alors son statut de medium privilégié.
Le mouvement Shin hanga (« Nouvelle estampe ») initie une renaissance de l’estampe japonaise à partir de 1905 grâce à l’éditeur Shozaburo Watanabe. Ce mouvement durera jusque dans les années soixante.
Paul Jacoulet participe à sa manière à ce renouveau mais sans jamais copier les maitres anciens ou les maitres du Shin hanga. Il ne donne pas non plus d’images romantiques d’un Japon qui n’existe plus comme la plupart des artistes de cette époque.
Il travaille comme un homme de son temps, ouvert sur le monde, fasciné par des cultures et des traditions différentes. Ethnologue amateur, il collectionne les images des peuples qu’il rencontre comme il collectionne les papillons. Il vise à conserver par le dessin la trace de pratiques, de rituels dont il pressent la disparation.
Le mandarin aux lunettes, gravure sur bois
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Bettina Vannier
www.artmemo.fr